Par un beau matin de printemps, je parcourais un champs de pensées…

Les idées fleurissaient dans ma tête qui s’évertuait à les étoffer, j’avais passé tant de temps à les étouffer.

Alors, j’ai tout fait pour les voir germer…

J’aimais l’idée justement de les voir grandir et s’épanouir, laissant s’évanouir le temps passé à ne pas vivre l’instant qui m’était offert comme présent.

Puis, je me suis perdu dans mes pensées comme on perd la mémoire…

Le temps passe et suspend nos souvenirs comme des photos sur une corde à linge.
Le fil de la vie est une ligne désaccordée et infinie qui ne mérite, après réflexion, que trois petits points… De suspension…

« Ô temps, suspends ton vol », nous récitait Lamartine.

Ô temps, ne me vole pas mes trois petits points…

J’imagine que l’on perd la mémoire comme l’on perd ses clés.

Comme l’on perd l’équilibre sans perdre connaissance.
Et encore que. Qui sait.

Il me fallait donc me retrouver.

C’est ainsi que je me suis mis à la recherche de mes clés.

La clé des champs est un bon début, me disais je…
Pour retrouver la liberté de penser.

Puis, je poursuivais mon chemin et trouvais un petit pont menant d’une rive à l’autre d’un paisible lac que je pouvais apercevoir, un peu plus tôt. J’attendais un signe, finalement…

Quand, tout à coup, j’entendis un cygne.

A cet instant, j’ai failli perdre mon texte aussi…
A une lettre près, j’ai failli même perdre la tête, finalement.
La vigueur de voix du cygne chantant à tue tête, probablement.

Qu’en penser ?…

Et puis, quand penser ? Était ce le bon moment ?…

J’avançais, malgré tout, jusque la cime, au niveau de la clé de voûte du petit pont et regardais comme figé du haut du promontoire.

Je me suis mis sur la pointe des pieds, les gardant bien au sol, près de la clé de portée qui m’offrait une telle harmonie.

J’espérais prendre de la hauteur pour contempler l’horizon.
Un lac n’est-il pas une mer à marée basse…

J’espérais être à la hauteur pour contempler l’avenir…

J’ai, à un moment, jeté un regard vers l’eau qui me réfléchissait.
J’espérais pouvoir en faire autant.
J’essayais de chasser toutes les sensations de « ma lettre » mais c’est là que les mots ont dépassé ma pensée…

J’ai croisé mon reflet dans l’eau, comme dans un miroir.
Un peu ondulé ma foi, un peu plus bleuté avec des plages plus claires. Albâtres même.

Trop blanc, troublant.

J’y suis resté quelques instants à le regarder évoluer au fil de l’eau. Je ne pouvais le retenir, de toutes façons.

Je ne saurais dire pourquoi ou comment mais les ondulations faisaient écho au chant de mon âme.

Comme un signe du destin.

Comme une âme heureuse…
De moi, je l’espérais.

Puis, à un moment, alors que je me trouvais paisible, le soleil se retrouvait tout là haut.
Il a plongé ses rayons, son regard dans le mien, lui à son zénith et moi à l’équateur de ma vie. Quel comble.

Je demeurais ébloui, quelques instants.

J’ai tenté de m’asseoir, pour faire le point.
Un peu courbé en avant, la tête reposant sur le poing, pour  mettre de l’ordre dans toutes ces pensées qui Rodaient autour de moi.

Les pieds dans le vide mais était ce le moment de faire le vide dans ma tête, justement ?…

Le vide dans la tête ou la tête dans le vide.

Sensation étrange aussi que de se poser la question du choix d’une lettre. Il me fallait choisir entre le « a » et le « e »…
« Viva la vida » ou « Vive le vide ».

Et si je plongeais pour ne pas plonger, justement.

Ni dans le vide.
Ni dans la vie.

Tenter de nager dans le bonheur en essayant d’éviter le contre courant.

Et encore que. Le bonheur n’est qu’un concept, finalement.

Je n’arrivais pas à percer la clé du mystère.
Et puis, avais je gardé ma faculté de penser, ma capacité de jugement ?…

Ce mode de pensée avait un côté magique ne sachant choisir entre subjectif et objectif.

Et puis, quel était l’objectif de cette situation, de cette expérience; quelle leçon devais je en tirer ?…

Mon avenir, mon futur avait il une pensée de derrière la tête, comme un projet que je devais réaliser ?…
Probablement.

Quoiqu’il en soit, nous sommes le démiurge de notre existence.

Quand j’ai reçu un signe. Puis deux, puis trois, une multitude, en fait. Autant de signes que de pensées dans un champ…

Comme un champ de signes, d’avertissements…

A bien y penser, il était temps de dépenser le compte à rebours imparti, différemment.
A force de mégoter, nous laissons parfois notre âme partir en fumée alors qu’elle demeurait au fond de nous pour filtrer les mauvaises pensées.

Peut-être avais je trop longtemps laissé mon âme justement, à l’ombre, en coulisse même pour vivre la vie d’un artiste qui m’était étranger.
La vie nous entraîne parfois dans un cul de sac.
Sous vide.
Privé d’air.

Cinquante ans.
Je réalisais que ma vie avait été mise en quarantaine, dix ans durant.
Il était probablement temps de réaliser ma vie.

Près de moi, il y avait un jeu de cartes.
Elles m’attendaient,  posées là, sur les planches de bois craquelé.
Elles ne s’étaient pas envolées sous la petite brise qui aérait mon visage. J’en saisissais donc une qui se dégageait des autres, coincée dans une rainure.
En lisant le petit texte manuscrit saisi dessus, j’en devenais saisi, moi aussi.

Le message était « Je pense donc je suis ».
Des cartes me disaient ça, à moi. Un simple jeu.
La vie, voulait elle jouer avec moi ?

Là, maintenant. Et puis, comment savaient elles?…

J’aime l’idée des pensées, me disais je.
J’ai donc suivi cette idée.
Je suis ce que je pense, finalement.

Alors, j’ai parcouru le champs, de long en large.
De travers aussi.

J’ai exploré chaque coin, chaque recoin, à la recherche d’un je ne sais quoi, d’un je ne sais coin…

Attiré par un double coin, je n’y ai trouvé que des cygnes poussant la chansonnette…

Mon chant du cygne, qui sait.

Le doux chant m’avait touché…
En pleine cible.

Encore un comble.
Moi qui déteste la chasse et les chasseurs.
La seule chasse que je connaisse concerne les mauvaises pensées. Évidemment, je préfère plutôt partir à la cueillette des belles pensées.

Ohhhh, je rêvais…

Et si le rêve était la clé de nos pensées.

Je vois l’heure et m’aperçois, déçu, que le temps n’a pas suspendu son vol…

Le temps nous a volé tout ce temps.

Le temps s’est volé, lui-même, du temps.

Le temps s’en est volé…

Le temps s’est envolé…

Ceci clôt mon envolée…